La BGT est au garage Mendez depuis hier matin. Msieur Mendez m'a fait du service à domicile, me laissant une Scenic hors d'âge, qui fait passer la MG pour un modèle sortant d'usine.
Ce soir, déguisé en pingouin, cravaté comme un lord, je fonce depuis mon bureau jusqu'à sa rutilante Scenic, direction le garage. Msieur Mendez m'attend, je l'ai prévenu.
Un tour autour du Scenic... Pouah... Je monte là-dedans ? Je passe au pressing directement après ? Je vais chercher un sac poubelle pour mettre sur le siège ? Las, je vais monter. Argghh, la Scenic ne s'ouvre pas. La télécommande n'ouvre pas la porte. Heureusement que le garage Mendez a pensé a tout. S'il avait pour voiture de courtoisie une auto du 21e siècle sans clé, j'étais bon pour rester sur le trottoir. J'ouvre à l'ancienne.
Petite voix synthétique façon Fisher Price ou Playschool : "le véhicule a été ouvert sans utilisation de la télécommande, le démarrage est impossible, antivol en service, le véhicule a été ouvert sans utilisation de la télécommande, le démarrage est impossible, antivol en service, le véhicule a été ouvert sans utilisation de la télécommande, le démarrage est impossible, antivol en service..." Je verrouille de l'intérieur, et enfin, la télécommande accepte de déverrouiller le coffre-fort électronique du Scenic.
Démarrage. Je crains de ne pas atteindre le haut de la rue... Que faire ? Appeler une dépanneuse ? Appeler le garage Mendez pour dépannage sur sa voiture de courtoisie ? Non, j'enfonce l'accélérateur comme un forçat. Ça monte. Bien sûr, les amortisseurs ont la vigueur d'un vérin de meuble de cuisine Ikéa. Les suspensions ne sont plus qu'un vieux souvenir de jeune fille pour la guimbarde qu'elle est devenue.
Déjà près d'un kilomètre parcouru. Un voyant s'allume. Service ! La voix, Brigitte (les voix synthétiques, chez moi, c'est Brigitte), me dit d'aller rejoindre un atelier pour maintenance impérative. Eh... J'y vais ma belle ! Petites incantations pour que l'engin me mène jusqu'au garage Mendez. Bien sûr, j'éternue comme un moissonneur. La poussière qui recouvre tout l'habitacle lui donne presque un aspect alcantara sous le soleil couchant. La classe...
Arrivée devant le temple - que dis-je... le temple... la Mecque de l'anglaise ressuscitée - dans un claquement de diesel digne d'un motoculteur oublié trop longtemps. Je claque la porte, tente de fermer l'auto, retente, re-retente. Merde, on ne lui volera pas...
Ma GT est là, là-bas en fait, abandonnée fenêtre ouverte sur le trottoir. Moi, j'aurais fermé la fenêtre. Pour la flotte, pour la poussière, pour les chewing-gum du passant qui trouvera drôle de cracher un chwiinnnng dans une bagnole, pour... pour la forme, pour que le client ne se fasse pas la réflexion.
Je me contiens. Je me rappelle la DB4 à 200 000 euros minimum, abandonnée au même endroit (un peu plus loin encore, en fait), ouverte à tous vents.
Bonsoir Monsieur Mendez ! que je lui lâche avec un entrain et un rictus nerveux qui m'étonnent encore. Des effluves anisées me chatouillent les cornets, mais je n'ai pas envie de me coller un pastos dans le cornet, contrairement au staff affairé à fêter dignement la fin de semaine. Et puis, l'anis, ça parfume et ça couvre bien le gaz d'échappement. Et une cliente peut prendre ça pour des huiles essentielles, c'est l'essentiel.
Bon, j'ai fait au plus vite, votre magnifique Scenic, qui m'a fait une scène, elle est là, juste devant, mais pas fermée. Comme la mienne ! Je vais donc aller récupérer mon auto (Je pense à Roland Giraud dans les Bronzés font du ski "euh, je ne vous colle pas mon poing sur la gueule ?" et je me marre). J'ai laissé votre clé qui n'ouvre rien sur le bureau, hein, n'est-ce pas, et donc mes clés sont... ?
Ah bien voilà, les voilà. me lance Mendez, tout sourire. C'est les huiles essentielles de gaz anisé, sûrement.
Elle marche enfin, la MG ? que je lui lance d'un ton courtois qui m'étonne encore, un poil moqueur, un poil inquisiteur.
Ah, ben pour moi, elle marche bien. J'ai même eu la visite d'un propriétaire d'ancienne qui l'a trouvée très belle. Je l'ai essayée, j'ai freiné, cette fois, ça fonctionne. Je suis allé jusqu'à Gacougnolles, dans la montée de Vichumes, je n'ai pas eu le moindre défaut qui me revienne aux oreilles. On a purgé le circuit. C'est tout bon, tout tout bon, du tout bon, Monsieur Bergeade !
C'est sûr qu'elle est belle, c'est pour ça que je l'ai choisie. Mon souci, c'est qu'elle va vieillir vite, si je prends deux voies pour m'arrêter à chaque passage piéton, hein... Pas besoin d'aller jusque dans les virolos de Vichume, j'ai pas prévu de m'inscrire à la course de côte qui vient, je cherche juste un comportement nor-mal ! Vous aviez compris, Monsieur Mendez !
La GT est dégueulasse, couverte de marbrures de chez Elephant Bleu qui n'a pas voulu offrir l'eau déminéralisée et le lustrant.
Je m'installe, elle pète au quart la demi-portion. Mendez me donne des conseils de lustrage, de polishage. Je me retiens pour lui donner mes conseils de lavage.
Cent mètres. Pas le panneau 100 M, mais la distance parcourue. Je freine gentiment, avec la douceur du vieux beau qui courtise une vieille belle. Blocage immédiat de la roue avant droite.
Je réitère l'expérience trois kilomètres plus loin. La roue avant droite hurle, l'auto tire maintenant fortement à droite. Avant hier soir, c'était l'arrière gauche, et elle tirait à gauche. En cette période de primaires, de tergiversations, je me dis qu'elle est à la mode. Indécise, un coup par ci, une tentative par là.
C'est moins grave qu'avant hier, mais c'est beaucoup moins bien qu'il y a un mois. Mendez est passé par là... Du grand Mendez !
J'arrive à la maison. Vroum vroum est accueillie par mon fils comme ne le sera jamais le plus beau de tous les garages Playmobil. C'est ça aussi, le plaisir de posséder une auto différente. Msieur Mendez s'éclate en la triturant, et mon clown de huit ans, lui, il l'attend. Non mon loulou, pas de tour de vroum vroum ce soir, Msieur Mendez a un peu foiré sa mission, on fera ça un autre jour. Quand on aura enfin l'assurance qu'on s'arrête au passage à niveau sans passer sous le bus qui arrive en face...
Mendez m'a confirmé avoir purgé. Il m'a confirmé avoir toilé les pistons de l'étrier avant droit. Il m'a tout confirmé, lorsque je l'ai appelé. Il m'a dit aussi que je pouvais lui ramener, qu'il verrait.
Je lui ai dit que j'allais rouler, rouler, rouler, loin, loin, loin, tout ça sans gueuler. Inutile. On ne raisonne pas un gars persuadé. Inutile, sauf à vouloir se fritter. J'avais presque de la sympathie pour sa bonne volonté, de l'affliction pour son dévouement, de l'emphase pour ce bonhomme englué dans l'huile de vidange et les huiles anisées qui masque bien les gaz d'échappement, ceux du vendredi soir.
Je dis alors à ma douce que je suis quand même étonné que chez Mendez, nul qu'il est, j'ai pu voir une Aston de millionnaire, et une Triumph que je ne me payerai jamais.
Et vous savez ce qu'elle m'a répondu ?
Eh, dans Camping aussi, il y avait une Aston chez Mendez ! Parce que tu crois que ton Aston anglaise, elle est arrivée chez ton Mendez sur la simple intuition de son anglais de propriétaire ? Qui te dis qu'elle n'a pas échoué là par obligation ? Et t'as vu, elle est repartie le lendemain, sur un plateau. Mendez, il n'a pas eu le temps de faire du grand Mendez !
Demain, je lui fais essayer l'auto. C'est elle qui va diagnostiquer, et ordonner les prochains travaux !
Blague à part, je fais passer le contrôle technique et je la confie au vrai garage spécialisé en anglaises qui va bien, près de chez moi. J'irai visiter Msieur Mendez pour acheter un bidon d'huile. Sympa, mais bon qu'à bricoler des Scenic pourris qu'on maintient en vie faute de mieux.
J'irai un vendredi soir, pour m'aniser. Pardon, pour m'amuser !
Cette auto freinera. Et là, elle revivra.